La société du mystère de Dominique Fernandez
Agnolo Bronzino, Christ en croix, Nice, musée des Beaux-Arts (musée Jules Chéret) |
C'est toujours un plaisir de trouver sur l'étal d'une librairie un nouveau livre de Dominique Fernandez. D'abord parce que cela fait chaud au cœur de savoir que le monsieur n'arrête pas l'écriture (malgré son âge), mais surtout parce qu'on devine instantanément qu'on va apprendre beaucoup de la vie d'un peintre (ou autre : poète, auteur, etc.), accompagné de quelques bonnes anecdotes croustillantes. On sait également d'avance que l'écriture, toujours la même, sera fluide, simple mais profonde, au goût du jour avec ce qu'il faut d'érudition pour ne pas tomber dans la facilité. C'est cela qui fait de Dominique Fernandez un très bon écrivain français, et cela depuis de nombreuses années. Il y a ce qu'il faut de connaissances, de curiosité, de bonheur d'écrire et de partager, de recherche et de liberté.
La liberté, Fernandez l'use avec férocité. Il l'use essentiellement dans l'écriture (et j'imagine dans sa propre vie également -mais cela ne nous regarde pas), son écriture, qui est libre : libre de ses sujets, libre de ses désirs et de ce qu'elle expose. Pour le dire plus franchement et avec moins de fioritures : Fernandez n'hésite pas à parler de ce qu'il veut. Et disons-le encore plus clairement : il aime et il veut parler des garçons. Parfois excessivement, selon ma propre opinion. Loin de moi d'avoir de quelconques préjugés ou répugnances sur ce sujet (au contraire, j'admire Fernandez pour ceci également qu'il parle sans détours d'amours et de sexes masculins, ce n'est pas si désagréable, même pour une femme hétérosexuelle), mais il semblerait que l'on tombe, de temps en temps, dans le trop-dit, dans l'excès, dans le "je remets encore ça sur le tapis au-cas-où-vous-n'auriez-pas-compris". Fernandez aurait du suivre de plus près ce qu'il nous enseigne dans ce livre (et dans d'autres plus anciens aussi), à savoir que les choses cachées ont parfois plus de force et de puissance pour ceux à qui elles sont destinées. Si sa plume était restée un petit peu plus mystérieuse et codée le livre aurait redoublé d'intérêt et de pouvoir.
N'empêche que l'histoire d'Agnolo Bronzino racontée ici est passionnante (moins passionnante de mon point de vue que celle du Caravage dans La course à l'abîme, plus ancienne, mais d'une portée et d'une voix plus énergique). On se trouve projeté dans la société florentine. C'est toujours une grande émotion que de trouver un livre capable de nous retranscrire avec singularité les mondes anciens. Fernandez en est capable, il nous l'a déjà prouvé par le passé, notamment quand il s'agit de l'Italie. Plongés que nous sommes dans la Renaissance d'après Léonard, pendant le règne de Michel-Ange (qui travaille à Rome pour sa part), nous voguons entre les tribulations d'un Bronzino d'abord jeune, sous l'égide d'un Jacopo Pontormo, un petit peu fêlé, mais non moins attachant. Notre petit Bronzino timide évolue dans cette sphère artistique flamboyante et marginale, aux côtés d'Andrea del Sarto, de Parmigiano, ou de Rosso Fiorentino. Viendront s'ajouter par la suite des aventures avec Giorgio Vasari, Allessandro Allori (dont la relation avec Bronzino est émouvante si on se laisse prendre au jeu) et bien sûr, Benvenuto Cellini, dont le caractère ne cesse de surprendre.
Ne dévoilons pas ici les intrigues, les amours et les rebondissements, ce serait gâcher au plaisir de la lecture. Restons sur ce point positif, qui est selon moi le mérite du livre, de nous retranscrire un monde perdu aujourd'hui, dont Fernandez rêve avec ardeur ; d'un rêve si vigoureux qu'il nous entraîne avec lui dans sa vision merveilleuse et exaltée.
Ne dévoilons pas ici les intrigues, les amours et les rebondissements, ce serait gâcher au plaisir de la lecture. Restons sur ce point positif, qui est selon moi le mérite du livre, de nous retranscrire un monde perdu aujourd'hui, dont Fernandez rêve avec ardeur ; d'un rêve si vigoureux qu'il nous entraîne avec lui dans sa vision merveilleuse et exaltée.